Intelligence suprême
Je lis avec plaisir The Web of Life de Fritjof Capra. Ce qu’il écrit est passionnant, mais dans un sens, je me demande s’il va assez loin. Le problème, avec la science, c’est qu’elle reste toujours limitée à notre monde matériel à trois dimensions. Elle essaie de tout expliquer à ce niveau-là, dans le cadre de nos perceptions, de notre façon de comprendre et de penser ; c’est certes une partie de la réalité, mais seulement la partie émergée de l’iceberg. Le non-visible, le non-conceptuel, le non-matériel, ont des implications immenses. Ils conditionnent complètement le matériel, le manifesté ; ils génèrent ses structures sans être limités par elles. Toutes les manifestations, les phénomènes les plus complexes et les plus sophistiqués, ne sont que des élucubrations éphémères et changeantes, que le jeu futile de forces essentielles, dans lequel on reconnaît une intelligence suprême ; c’est pourquoi on retrouve toujours une forme d’ordre dans les manifestations les plus chaotiques.
Cette intelligence, cette force, cette lumière, cette énergie suprême, se situe à un niveau tout à fait différent de la manifestation, et n’est pas affectée par elle ; mais elle est aussi, dans un autre sens, inséparable d’elle, et complètement impliquée en elle. Tout en étant toujours présente dans la manifestation, elle reste, dans son essence, immuable, éternelle, incorruptible, insaisissable. Elle n’est pas influencée par le temps et l’espace, car elle est l’essence du temps et de l’espace, qui sont le champ de son expression. Elle n’a pas peur de la mort, ni du changement, ni de la catastrophe ; car quoi qu’elle manifeste, il ne peut rien lui arriver. Chaque manifestation n’est qu’une expérience supplémentaire qui accroît sa sagesse et sa créativité illimitées.
Elle peut manifester toutes les formes de vie, de matières, de mondes, d’univers, de connaissances, de structures, de processus, d’idées, de concepts. Ils ne sont que les fioritures et les expressions de la potentialité infinie de la vacuité, où tout peut prendre place sans que l’espace ne soit affecté ; et pas seulement l’espace physique, mais l’espace mental, spirituel, lumineux, et tous les niveaux d’espace qu’on peut imaginer, ou qu’on ne peut pas imaginer. Retourner à cette vacuité est une libération de toutes les structures qui nous limitent et nous conditionnent : le temps, la matière, la pensée, et de tous les espaces qui n’existent que par rapport à ce qu’ils sont, la potentialité de contenir la manifestation. La vacuité est au-delà de tout concept d’espace, de toute idée ou intention de manifestation, de tout but.
Pourquoi donc s’efforcer de poursuivre des buts ?
6 avril 1999, Chiang Mai