La lune
Je regarde la lune se coucher, pas d’une façon aussi belle que dimanche où la pleine lune s’est couchée juste derrière le sommet de Moorea, au moment où celui-ci était frappé par les premiers rayons du soleil, à 6 heures. Voyant la lune se coucher, je pensais de nouveau au mouvement de la lune autour de la terre, et réalisais qu’il n’est pas aussi rapide qu’il nous paraît à nous, qui voyons chaque jour la lune se lever et se coucher, mais qu’il est en fait très lent, puisqu’elle met vingt-huit ou vingt-neuf jours pour faire le tour de la terre, et c’est nous qui tournons vingt-huit fois sur nous-mêmes pendant le même laps de temps. En fait, chaque jour ou chacun nuit nous retrouvons la lune pas très loin de là où nous l’avons vue la veille à la même heure. C’est évident, mais on n’y pense pas immédiatement. J’ai pensé aussi à la vision de la terre depuis la lune, depuis la face où on la voit, bien sûr. Elle doit être toujours à la même place, à peu près ou précisément, et sembler immobile. Mais, par contre, en vingt-quatre heures, elle tourne entièrement sur elle-même, et passe par toutes les phases de la pleine terre, à la demi-terre ou à la terre noire, avec bien sûr le décalage dans ce programme égal au déplacement de la lune, soit un vingt-huitième de vingt-quatre heures, environ cinquante minutes.
Sur la lune, le jour solaire est de quatorze jours après quatorze jours de nuit. Par contre, pendant ces quatorze jours de nuit, il y a, pendant plusieurs heures par jour, un fort clair de terre. Je me suis demandé aussi si au pôle, ou à un autre endroit sur la terre, on voit la lune à certaines périodes, ou toujours, pendant vingt-quatre heures par jour, et si, alors, on voit à certains moments le soleil et la lune tournant en rond à la poursuite l’un de l’autre, chacun à un bout de l’horizon. Ça doit être un spectacle superbe. La marche des étoiles dans le ciel, et en particulier la terre, la lune et le soleil, est un sujet de méditation dont je ne me lasse jamais, et qu’on peut s’imaginer ou se représenter de mille façons différentes. Cela me demande pourtant un effort de raisonnement, de concentration et de vision dans l’espace. Mais peut-être qu’un jour je percevrais sans effort le système complet, évoluant dans l’espace à chaque instant, sous ses différents aspects dans le temps et dans les mouvements continus formés par la succession des visions instantanées que nous en avons, et qui paraissent immobiles, ou l’étrange volume formé par les traces passées et futures des astres dans l’univers, qui, pour un œil à l’échelle de l’univers, ne serait qu’une parcelle de matière du corps d’un être gigantesque qui, lui aussi, voit peut-être dans son ciel à lui de petites étoiles qui se déplacent.
30 septembre 1985, Faaa (Tahiti)