Le détachement de soi
Je lisais hier un article sur le détachement de soi, de l’identification au soi. Finalement, toutes les choses importantes que nous faisons ne sont que des moyens de solidifier le soi et notre identification à lui. Mais justement, est-ce que le désenchantement, le désintéressement des activités du monde, ne sont pas des signes de détachement de ce qui donne un sens de solidité au soi ? En particulier toutes les activités que nous faisons de notre propre initiative, pour maintenir ou fortifier l’image que nous donnons aux autres, et que nous nous donnons aussi à nous-mêmes ? Car les autres sont généralement plus préoccupés par leur propre image que par la nôtre. Tout ce que nous faisons pour les autres sert à renforcer cette image de quelqu’un qui fait des choses pour les autres ; et qui attend que les autres fassent quelque chose pour lui : karma oblige !
Le détachement de soi est la fin de cette tentative de prouver quelque chose : ce qu’on est, ce qu’on fait, ce qu’on fait pour aider le monde et les autres. C’est essayer d’être simplement ce qu’on est, tout naturellement, et de répondre spontanément aux besoins, aux nécessités, aux demandes, sans la nécessité de créer une image satisfaisante de soi. Il faut donc bien observer quelles sont réellement les motivations profondes de tout ce qu’on fait, quel en est le but, et si ce but est bien en harmonie avec le but de sa vie. Pour cela, bien sûr, il faut déjà savoir quel est le but de sa vie.
Si je prends comme but d’atteindre l’éveil, quelles sont les activités de ma vie qui conduisent à ce but, et quelles sont les autres ? Et à quoi servent les autres ? Pour pouvoir répondre, il faut savoir quels sont les moyens ou les chemins qui conduisent à l’éveil ? Par exemple la Noble Voie Octuple*, ou la pratique des vertus. On peut aussi dire que ce n’est pas ce qu’on fait qui importe, mais comment on le fait. Si on le fait avec attention, avec la conscience de la vacuité et des trois caractéristiques*, avec la bodhicitta*, et avec quelle motivation. Même si on peut envisager cette investigation de plusieurs manières, il est probablement très utile de la tenter et d’arriver à différencier ce qui est important – l’éveil – de ce qui l’est moins – comme la survie de l’ego.
* Noble Voie Octuple : il s’agit de la Quatrième Noble Vérité. C’est la voie de la pratique, celle qui conduit à la Troisième Noble Vérité, la cessation de la souffrance. Ses huit aspects sont : la vue juste et la motivation juste, qui constituent l’entraînement à la sagesse ; l’action juste, la parole juste et le mode de vie juste, qui constituent l’entraînement à la moralité ; l’effort juste, l’attention juste et la concentration juste, qui constituent l’entraînement à la méditation.
* Trois caractéristiques (pali : ti-lakkhana) : les trois caractéristiques de l’existence et de tous les phénomènes (selon le bouddhisme) sont anicca (l’impermanence), dukkha (l’insatisfaction) et anatta (l’impersonnalité).
* Bodhicitta (sanscrit) : littér. esprit d’éveil. C’est l’aspiration à atteindre l’éveil afin de pouvoir libérer tous les êtres vivants des souffrances du samsara. La bodhicitta est un des fondements du bouddhisme mahayana.
7 janvier 2001, Chiang Mai