PENSER AUTREMENT

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Temps et causalité

1203 Poème de couleurs

1203 Poème de couleurs

Le temps : « le temps qui passe » et « le  temps total » dont notre présent n’est qu’une section dans une dimension inférieure. Notre vie contiendrait donc le temps total, autant le passé que le futur ; et le présent, comme partie de ce tout, serait conditionné autant par notre passé que par notre futur ! Que le passé ait une influence sur le présent est compréhensible et facilement vérifiable ; mais il y a toujours d’autres forces qui semblent agir sur notre présent, que nous ne comprenons pas et n’arrivons pas à contrôler ; est-ce que ce ne seraient pas les influences du futur ? Alors l’idée que notre présent contient les causes de notre futur serait fausse : ce serait l’inverse. Les intuitions et autres connaissances ou inspirations (qui ne s’expliquent pas logiquement dans le cadre de notre dimension dominée par l’idée de causalité basée sur le temps qui passe), ne seraient-elles pas les connaissances du futur qui conditionnent notre présent ? 

L’ignorance de ces influences serait la raison de notre confusion : nos doutes, anxiétés, espoirs, désirs, en un mot nos souffrances, découlent toutes de l’idée que nous pouvons façonner notre futur. Mais s’il existe déjà, il n’y a plus ni désir ni crainte à avoir. Faire son devoir (l’action spontanée du wu wei*), serait une action conforme à notre vie totale, qui s’intercale naturellement dans le cours continu et naturel du temps total (qui contient simultanément passé et futur), et dont notre présent n’est qu’une projection statique (qui n’a pas d’existence propre, pas de substance, car elle n’est pas reliée au tout). C’est une illusion vide et fugitive (impermanente), et par là même insatisfaisante ; alors que le tout, dans la dimension du temps total, est permanent, éternel, plein (d’une substance totale), calme et paisible, car sans mouvement ! Cette dimension correspondrait au nirvana, au Tao, etc. ; alors que le samsara*, le monde phénoménal, serait la dimension du temps qui passe ! 

Est-ce que cela voudrait dire que notre destin (notre futur) est déjà complètement fixé, et immu­able, comme notre passé ? Ou que l’ensemble de notre vie, du temps total, est aussi, dans une autre dimension, une entité vivante et changeante ? Cela signifierait alors que notre passé aussi bien que notre futur pourraient être modifiés. La notion de préférences (likes and dislikes), de sensations agréables ou désagréables, seraient des influences du futur qui nous pousseraient à réagir d’une façon conforme à ce futur déjà existant ! Par exemple, si on obtient quelque chose dans le futur, c’est parce qu’on a eu un désir causé par une sensation agréable ! Si on n’est pas mort dans un accident, c’est parce qu’on a eu une réaction de peur qui nous a permis de l’éviter, etc.

On peut renverser tout le principe de la causalité : c’est pour arriver à la situation présente que le passé a dû être ce qu’il a été ! En fait, ça marche dans les deux sens ; il n’y a plus de causalité, mais un tout : un ensemble cohérent dont tous les éléments existent simultanément, sont liés et interdé­pendants, et concourent à l’équilibre général du système. La vie totale de chaque individu ou objet est en même temps reliée à celle de tous les autres pour former un système total qui englobe tout l’univers dans son éternité. L’omniscience est la perception simultanée et globale de ce système total.

C’est notre conscience ordinaire qui est limitée et fragmentaire et ne peut percevoir que des sections individuelles et consécutives dans le temps qui passe du système total : c’est la réalité relative, dans laquelle on peut parler d’illusion, de vacuité, de non-soi. Dans la perception du système total, par contre, on peut parler de réalité, de plénitude et de conscience cosmique imper­sonnelle. Le présent est en somme la résultante inéluctable du passé et du futur ; mais, comme nous ne connaissons le passé que d’une façon matérielle (objective), et que nous ne comprenons pas les pulsions créées par la résultante du futur, notre ignorance engendre un état de confusion ! 

Lorsqu’on est dans le temps total, il n’y a rien à désirer, à craindre ou à faire dans le présent ! Dans le temps total, le présent n’existe pas, n’a pas d’épaisseur. Quand on fait quelque chose, l’action n’est plus dans le présent, mais dans le temps total ; à ce moment-là, l’action se fait, existe, indépendante de la volonté de l’ego. Les actions n’existent plus comme des processus en cours dans le temps qui passe, mais comme des entités complètes dans le temps total, comme l’idée, le fruit, dont la maturité dans le futur conditionne ou crée sa gestation et sa croissance dans le passé.

Dans le temps total, l’idée est en même temps la fin et l’origine ; seule l’élaboration matérielle s’accomplit dans le temps qui passe.

La conscience ordinaire du temps qui passe est individuelle et dualiste ; la conscience supérieure du temps total est cosmique et holistique.

Changer le passé, c’est modifier les souvenirs, l’histoire : c’est si fréquent qu’on ne peut pas parler d’un passé objectif ! C’est aussi l’imagination, le roman, la fiction !


Wu wei (chinois) : littér. ne pas faire, non-action. Le wu wei est une philosophie de vie prônée par les taoïstes, qui consiste à s’abstenir de toute intention d’accomplir quoi que ce soit. Le pratiquant du wu wei se contente de suivre le flux de la vie en répondant spontanément aux besoins et aux demandes qui se présentent.

Samsara (pali) : littér. transmigration perpétuelle. Désigne le cycle des renaissances – le monde conditionné dans lequel nous vivons – qui, tant que nous n’en avons pas perçu la nature illusoire et le considérons comme la seule réalité, est comparé par le Bouddha à un océan de souffrance.

 

29 juillet 1991, Bangkok

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